La naissance de Wanadoo il y a 25 ans : retour sur une expérience incroyable

C’est une véritable aventure qui perdure à chaque fois qu’on croise
l’adresse email en “@wanadoo.fr” d’un irréductible, qu’il soit 
particulier ou professionnel.
Hommage aux pionniers, à toutes celles et ceux qui ont osé se
lancer sous le regard pas toujours bienveillant de l’opérateur
dont les services télématiques constituaient encore une vache à lait généreuse ; querelle des (déjà) anciens et des (bien trop) modernes…

Le 2 Mai 1996, après de longs mois de préparation dans les locaux de France Telecom Interactive à Malakoff, Wanadoo ouvrait au public…

… le premier abonnement reçu au service clients fut celui de Serge Soudoplatoff, co-fondateur de Mentia, et les 999.999 suivants furent atteints en 4 ans.

Il a fallu 4 ans à Wanadoo pour atteindre le premier million d’abonnés. Angry Birds a été installé 50 millions de fois en … 35 jours !

Mais comment en est-on arrivé là ? Voici la véritable histoire des débuts de Wanadoo.

America Online était un des trois choix possibles !

En 1994, la « Direction de Programme Mediatel » avait été créée par Jean-Jaques « JJD » Damlamian(+), avec la complicité de (feu) Gérard Eymery(+), et confiée à Yves Parfait, un des pionniers des réseaux de fibre optique de France Telecom. Le Minitel était parvenu à maturité, et l’opérateur national réfléchissait dès lors à la suite avec 3 grandes options :

  • Prendre 20% du capital d’AOL (America Online, l’un des deux géants américains de ce qu’on appelait les « services en ligne », qui rachètera plus tard Time Warner) pour développer et opérer AOL Europe.
  • Une “télématique à la française” déployée sur ordinateur avec un modèle de revenus, un modèle d’App Store (le kiosque de services, avec reversements), modèle qui avait déjà fait ses preuves mais était trop limité à la France.
  • Utiliser ce fameux “protocole IP” qui n’avait pas été inventé en France, qui était américain donc un peu suspect aux yeux des chercheurs du CNET (le Centre National d’Etudes en Télécommunications, laboratoire exceptionnel d’où sont sortis la norme GSM, la compression MPEG, la reconnaissance vocale ou encore la transmission sur fibre optique), mais qui avait l’avantage d’être universel.

J‘arrive dans la Direction de Programme Mediatel en Septembre 1995. Le choix de l’option « Internet » a été entériné entre temps, et l’aventure du “projet IAP” (pour Internet Access Provider) peut commencer …

L’équipe Mediatel est une startup, avec JJD et Gérard Eymery au Board, Yves Parfait comme CEO, que je rejoins aux côtés de Daniel Le Rest (stratège aussi discret qu’avisé) et Georges Even ; Bertrand Gouze arrive quelques semaines après. Nous sommes brièvement épaulés par François Jacob pour la communication (Guy de Comeiras lui succèdera), les équipes du CNET sur l’architecture du réseau (Jean-Marc Steffann), l’IT (Fazal Majid), les aspects multimédia (le CCETT de Rennes, en pointe sur la TV et la vidéo), et de nombreuses autres figures des équipes d’Issy Les Moulineaux, Lannion et Caen.

Le premier logo de “Wanadoo, l’Internet par France Telecom”

D’où vient la marque Wanadoo ? A quoi d’autre avez-vous échappé ?

En février 1994, France Télécom avait fait son entrée à 5,5 % dans le tour de table d’Havas en échange de l’apport de ses 50 % dans l’ODA — l’Office D’Annonces, régie publicitaire exclusive des Pages Blanches, des Pages Jaunes, et des services Minitel correspondants, tous services édités par le SNAT. Puis ODA et SNAT fusionneront en 2000 avant de devenir Pages Jaunes, d’être mise en bourse, puis rebaptisée SoLocal. Cette association devait « explorer de nouveaux segments à la frontière des télécoms et de la communication », notamment dans l’édition électronique et les services en ligne. L’ODA comprenait notamment une équipe dédiée aux nouveaux usages et aux nouvelles interfaces, extrêmement innovante et dotée de capacités avancées de prototypage..

Cette équipe multimédia, menée par Daniel Sainthorant, s’était focalisée sur la création de contenus multimédia pour ordinateur. Ils avaient notamment commencé à prototyper un univers de services sous une marque originale : “Wanadoo”. Chez France Telecom en interne, on explorait diverses possibilités de marques, dont on est soulagés rétrospectivement qu’elles n’aient pas vu le jour ! Pour n’en citer qu’une je pense à “FT36” dont on comprend l’affiliation avec le Minitel : imaginez comme cela aurait vieilli !

“Meet the Parents” — et Cécile Bertau

Nous décidons donc de monter un FAI (Fournisseur d’Accès Internet) et de regrouper au sein d’une même entité le « Projet IAP », le projet Wanadoo : l’ensemble sera logé dans France Telecom Interactive, filiale de France Telecom, que rejoint Daniel Sainthorant et son équipe (Dominique Lemaire, Philippe MichelLuc PugeatThierry Robin, Olivier Bon, …), et dont les premières recrues sont son Président Roger Courtois (vétéran de la télématique avec Courtoisie, éditeur vidéotex réputé), sa CFO Marie-Christine Allais, et Jean Lebrun, de retour de l’ODA, où il avait développé Pages Jaunes Multimédia..

France Telecom Interactive s’installe à Malakoff, Rue Etienne Dolet, et migrera quelques mois plus tard à Issy les Moulineaux, Rue Camille Desmoulins.

L’expertise en production et en édition de services sera apportée par Intelmatique (Patrick Guet, Somphaphone Sackda – qui nous a quittés bien trop tôt en Août 2020, Anne-Marie Glaharic) et VTCom, qui regorgent de développeurs et d’administrateurs systèmes très talentueux — c’est un des effets de bord méconnus du succès de la télématique en France, les centres serveurs tournent tous sous Unix — , je pense à Pierre-Yves Kerembellec, Daniel Mahak, Hervé Binda, Sylvain Causse, François Dugardin, Patrice RobertBenoît GuitardNicolas SayerPatrice Bouf

C’est l’époque où tout est à construire soi-même ou presque puisqu’il n’y a pas d’outils ou de briques de service génériques.

La première version du navigateur grand public pour surfer sur le net s’appelle Netscape 1.0

Nous partons d’une feuille blanche.

Le commerce sera assuré par Bertrand Gouze rapidement épaulé par Amanda Pais et Jean-Christophe Hadamar.

Cécile Bertau

Le design des premiers éléments du service et de ses icônes est confié à EVM Multimedia dirigée par Jean-Louis Fourtanier, et c’est Cécile Adam qui va y donner sa première signature visuelle au service, ainsi que le prénom de « l’abonnée générique » Cécile Bertau. La compétence sera ensuite internalisée dans un “studio” avec Marc Chanel et Arnaud Guedj (aka Arno Guedj).

Il faut aussi structurer l’assistance à des utilisateurs parfois déboussolés par les acronymes anglo-saxons, et ne faisant pas toujours la différence entres les ennuis issus de leur matériel, de leurs logiciels, et de Wanadoo ; Vincent Chové va structurer le service clients avec des personnalités comme Bruno Galice, Sylvain Carpentier ou Pierre Jullo.

Fournir la connexion à Internet : fromage ou dessert ?

Kits Wanadoo — Photo © Daniel Mahak

C’est la première mission de tout fournisseur d’accès, et elle passe par des boitiers appelés Modems.

Ces modems étaient pilotés par des logiciels pas toujours installés et peu évidents à paramétrer pour des utilisateurs grands public. Il fallait donc développer et distribuer des kits de connexion, d’abord sur disquette 3,5″ puis sur CD-ROM. Wanadoo s’appuie pour ce faire sur le talent de BVRP, fondée par (feu) Bruno Van Ryb(+) et Roger Politis.

Du côté de l’opérateur il fallait déployer des milliers de modems pour permettre la connexion des internautes. On apprend à gérer les avalanches de demandes de connexions à une infrastructure extrêmement stressée, d’autant que dès que l’engorgement survient, les requêtes continuent de s’accumuler : une fois les vannes ouvertes, c’est un déferlement qui risque de créer un nouvel engorgement, etc.… Nous avons beaucoup mobilisé les équipes du CNET (France Telecom R&D) et notamment toute une équipe qui développait et gérait l’Operations Support Système pour la gestion des abonnés.

Les débits ont rapidement évolué, partant de 2400bit/s, 4800, 9600, 14.4 kbit/s ( grande étape) 19,6; 28,8;33,6 et 56 Kbit/s avant d’arriver à la limite des possibilités du cuivre et de nécessiter le passage au Haut débit (l’ADSL).

C’est l’époque où l’on n’est pas connecté en permanence, il faut arbitrer entre deux usages de la ligne téléphonique : fromage ou dessert, soit on se parle soit on “surfe sur internet”. Il y a bien la possibilité d’utiliser Numéris (l’offre RNIS de France Telecom, permettant de disposer de deux lignes et d’un débit de 64Kb/s sur le canal B — mais elle est chère, suppose une installation dédiée, bref ce n’est pas très grand public et réservé aux ultra geeks)

en 1996 il fallait arbitrer entre deux usages de la ligne téléphonique : voix ou données, fromage ou dessert…

Pouvoir faire les deux simultanément sur la même ligne (fromage et dessert) ne deviendra possible que bien après, avec l’ADSL, une autre prouesse du CNET permettant d’utiliser la même ligne de cuivre pour téléphoner et se connecter à internet, en haut débit qui plus est.

2 Mai 1996 : Day 1

Wanadoo ouvre donc après une dernière journée de tests et une dernière nuit de correction “à la main” — avec TextEdit — du code HTML 1.0 des pages majoritairement statiques du site.

Nous construisons et déployons progressivement les services d’accès au news, une page d’accueil, le premier WebMail, une passerelle Minitel, …

La page d’accueil est extrêmement dépouillée, et comporte déjà quelques innovations de services comme l’accès direct à un WebMail ou une information mise à jour quotidiennement.

Au dessus de la couche d’accès, on trouve les services : mail, Guide Web (qui deviendra QuiQuoiOù, organisé avec talent par Dominique Lemaire), téléchargement de fichiers, partenariats avec des éditeurs tiers pour délivrer du contenu à valeur ajoutée aux abonnés Wanadoo.

Plus tard viendront un service d’hébergement de pages personnelles. Sur ce dernier service, la question du positionnement de France Telecom en tant que fournisseur de contenu ou éditeur se pose. Mais la possibilité d’offrir à chacun un endroit pour s’exprimer l’emporte sur les potentiels risques et nous lancerons une offre de Pages Perso.

Le Premier App Store (et Jérémie Berrebi)

L’offre logiciel sur micro ordinateurs est à lépoque très pauvre, tout est distribué sur des disquettes ou des serveurs FTP, très peu accessibles au grand public; nous décidons de monter une logithèque permettant à chacun de s’y retrouver.

Le “Bazar Bleu” de Wanadoo est l’un des tout premiers App Stores avant l’heure

On s’inspire du nom (et de la devanture) d’une droguerie de Ville d’Avray, le Bazar Bleu, qui sera alimenté initialement par l’éditeur Ziff Davis et un des collaborateurs de PC Magazine, le tout jeune Jérémie Berrebi.

Le Bazar Bleu, logithèque de Wanadoo, vers 1997

Comment joindre quelqu’un sur Internet ? Personne ne sait !

Je négocie en parallèle avec un éditeur américain, 411 la possibilité de déployer un annuaire d’adresses email : personne ne sait comment les trouver. 411 (Geoff RalstonGloria Gavin) sera racheté par Yahoo! quelques mois plus tard.

La création du portail conduit à la création de contenus, à renouveler régulièrement. Le savoir faire de contenu et d’animation est porté par des équipes de Pages Jaunes qui ont intégré France Telecom. En découle la création du modèle publicitaire finançant l’animation du portail. Olivier BON est en charge des contenus, tandis que dans son équipe Guy Jacquemelle se charge des partenariats avec la presse.

Un débat s’ouvre alors sur le portail, doit-il être réservé aux abonnés ou ouvert à tous? La logique d’internet impose que tout soit ouvert. D’autre part, les abonnés qui paient déjà pour accéder à Internet, n’estiment pas toujours légitime de voir de la publicité sur les pages de Wanadoo, « leur » fournisseur d’accès. Comment se distinguer dès lors d’autres portails concurrents sur le plan de l’audience, et qui ne sont pas lié à un fournisseur d’accès — comme par exemple Yahoo, l’acteur dominant de l’époque ?

Nous ne sommes pas seuls

Nous sommes même (presque) les derniers ; juste avant nous avaient démarré Club Internet, Havas On Line, donc les vrais pionniers, ce sont eux. France Telecom arrive ensuite, avec sa force de frappe et aussi avec son ambition de faire quelque chose de simple, facile à utiliser et rassurant pour tous ses clients.

Et le Minitel ?

La passerelle Minitel permet quant à elle de continuer d’accéder aux services qui existaient sur la plateforme Minitel, et n’avaient pas encore migré vers Internet. Par exemple, il n’existait pas de service de banque en ligne sur internet, notamment parce que le Web n’était pas encore considéré comme suffisamment sécurisé, et ne permettait pas de rémunération directe pour les éditeurs de services.

La Passerelle Minitel

Le modèle économique du Minitel reposait en effet sur une unité de mesure simple, le temps. L’un des avantages de ce système était l’utilisation de la facture France Telecom à laquelle les Français étaient habitués : la réputation de l’opérateur rassurait tout le monde. À l’époque en effet, la téléphonie se facturait en “UT” selon la durée de la conversation ; il n’y avait pas de forfaits et encore moins d’illimité !

Le déploiement et le modèle économique du Minitel avaient ainsi permis le développement et le succès de nombreux éditeurs de services ; des millions d’utilisateurs Français avaient déjà et l’habitude et l’usage des services en ligne bien avant Internet.

Ce succès du Minitel avait également stimulé la formation d’ingénieurs logiciel de très grande qualité, car les serveurs télématiques étaient déployés sur Unix, seule plateforme capable de supporter le temps quasi réel à pareille échelle.

C’est grâce à cela qu’à la fin des années 90, la France comptait de nombreux développeurs et administrateurs extrêmement talentueux, et reconnus au plan international.

Cette particularité française du Minitel a donc été balayée par un protocole ultra-simple, dont la sécurité était assurée par des couches supérieures au protocole et non par le protocole lui même. De plus le modèle économique dominant était publicitaire : nombre de grands acteurs n’ont pas voulu établir de relation commerciale avec leurs utilisateurs pour de nombreuses raisons, y compris les aspects légaux corollaires. Ce n’est que bien plus tard qu’on a réalisé que « quand c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit »…

La suite

Wanadoo a grandi comme une startup, à toute vitesse, suscitant, après plusieurs mois de défiance, un véritable engouement de la maison mère France Telecom. En 1998 nous sommes déjà 150 …

Le service et le site évolueront au rythme des progrès de la micro informatique et du potentiel des navigateurs internet, tout en restant les plus accessibles possibles au plus large public.

Il faudra faire beaucoup de pédagogie, y compris à la radio ou je vais animer quelques séquences avec Francis Zegut dans Zikweb sur RTL (partenariat négocié par Patrice Begay)…

Monsieur Wanadoo sur RTL

Puis arriveront Nicolas Dufourcq, et plus tard Olivier Sichel qui tour à tour écriront d’autres grandes et belles pages de cette aventure incroyable.

Une archive de l’arborescence du service est accessible sur http://bit.ly/wanadoo-v1

  • L’aventure de Wanadoo fait désormais partie du chapitre IV du livre « De mémoire vive » sorti aux éditions Première Partie, et que vous pouvez commander après en avoir lu la préface de Cédric Villani.
  • Voir cet article de Pierre Grenet qui complète cette histoire sous l’angle différent des services d’annuaire de France Telecom et grâce à qui j’ai pu mettre à jour ceci.

Le Paradigme de l’Oisillon

Le « Paradigme de l’Oisillon » a été écrit il y a 13 ans. A l’époque les connections internet n’étaient encore ni permanentes ni rapides, la première bulle commençait à peine à se former, et l’analyse proposée était encore très marquée « telco » avec un centrage sur les annuaires de personnes qui préfigurait toutefois l’aventure Ukibi, puis l’avènement des réseaux sociaux.

Remplacez d’ailleurs « annuaire de personnes » par « graphe social » dans le propos et je pense que le sujet reste d’actualité. Il conviendra bien sur d’en éprouver la pertinence en regardant si le « Paradigme » éclaire d’une quelconque manière la guerre en cours entre Google+ et Facebook…

2 Mai 1996 – Lancement de la version 1 de Wanadoo

Le 2 Mai 1996, après de longs mois de préparation dans les locaux de France Telecom Interactive à Malakoff (Rue Étienne Dolet), et une dernière nuit de correction « à la main » du code HTML 1.0 des pages majoritairement statiques du site, Wanadoo ouvrait ses portes au public.

Le premier abonnement reçu au service clients fut celui de Serge Soudoplatoff, abonné fondateur, et auteur du blog Almatropie.

Voici une achive de l’arborescence statique du service web:

http://www.dewost.com/heavy/woo_v1/html/index.html