Le Carnet d’adresses, d’Ukibi à facebook

Ukibi-beta

En contrepoint du très bon « papier » (http://is.gd/78wInh) de mon « camarade » Henri Tcheng (qui ne semble pas être encore sur facebook), quelques remarques en désordre de la part d’un vétéran du domaine:

La notion de carnet d’adresses intelligent a véritablement émergé à la fin des années 1990, quand on s’est aperçu qu’Internet pouvait relier les hommes mais également leurs données, en vue par exemple de simplifier certains processus comme la gestion de leur carnet d’adresses et l’automatisation de sa mise à jour.

1999 est l’an 1 du carnet d’adresses intelligent, avec le projet Ukibi fondé par 3 français sortant du MIT (Huy Nguyen Trieu, Cyril Morcrette et Sébastien Luneau), qui met en place un système très astucieux de propagation de mises à jour de coordonnées baptisé StayInSync™. Ils s’appuient sur un protocole de description de contacts mis au point quelques années plus tôt (vCard, les fichiers .vcf) par le consortium Versit.

Amorcés par Mars Capital, ils lèvent 7 M€ auprès d’Europatweb et commencent à déployer Ukibi dans un contexte ou la connectivité n’est pas encore permanente (ce qui interdit par exemple la synchronisation en tâche de fond), contribuent au lancement du protocole SyncML pour étendre le carnet d’adresse unifié aux terminaux mobiles, mais sont entraînés par l’explosion de la bulle internet et du cash crunch de la téléphonie mobile provoqué par les folles enchères sur les licences 3G.

Une deuxième vague prend le relais, initiée par des acteurs américains beaucoup mieux financés, et qui se déplacent un peu plus vers le graphe social dont ils sont les « inventeurs » (même si la source est probablement dans le projet « 6 degrees » désormais oublié): ces acteurs ont pour nom Plaxo et LinkedIn, ce dernier s’acheminant progressivement vers une IPO planifiée pour 2011.

Puis arrive facebook, qui réussit le tour de force d’imposer en douceur une inscription / identification sous identité réelle, et réussit à conquérir 650 millions d’utilisateurs en quelques années. Le carnet d’adresses de facebook, qui semble un effet secondaire un temps occulté par la dimension « plateforme » (FBML, API, jeux sociaux, applis mobiles) est devenu en effet un actif soigneusement protégé ce que montre très bien l’article d’Henri Tcheng.

On est donc parti du carnet d’adresses, qui a souffert initialement d’un manque de connectivité (broadband fixe et mobile) et de standards (implémentations divergentes de SyncML) avant de « sortir » des réseaux télécom grâce à la (sur)puissance des terminaux et de devenir un des piliers des réseaux sociaux.

Cette évolution a d’ailleurs été largement facilitée par l’effondrement des coûts d’infrastructure matérielle (cloud) et logicielle (opensource) sous-tendu par la loi de Moore (entre 1999 et 2011 la puissance de calcul a été multipliée à cout constant par 250 à peu près)

Parallèlement, les utilisateurs sont devenus beaucoup plus confiants (ou naifs) et acceptent de télécharger leur carnet d’adresses ou de donner accès à celui-ci sur le web (via l’accès a leurs contacts Gmail ou Yahoo) ou directement sur leur smartphone.

Les opérateurs sont paradoxalement restés très en retrait : même si nombre d’entre eux ont des offres, celles-ci se sont fondues dans les interfaces utilisateurs lourdes de leurs portails surchargés, et sont pour la plupart difficiles à découvrir et complexes à utiliser.

Le graphe social, qui pendant longtemps dormait dans les systèmes de facturation, a donc lui aussi été aspiré à l’extérieur.

La suite dépendra de l’équilibre perçu par les clients entre la valeur du graphe (les liens) et la valeur des noeuds (les contacts), mais aussi de la faculté réelle de pouvoir reprendre simplement ce qu’on a confié. Sur ce dernier point, les enjeux ne sont pas tant techniques que stratégiques.

Ukibi, c’était donc en quelque sorte facebook, mais trop tôt, et pas assez financé. Je suis fier d’avoir participé à cette aventure.